Littérature, cinéma, voyages...
Bord de mer – Véronique Olmi
Il est des romans dont on sait dès les premières lignes qu’ils vont être des coups de cœur. Bord de mer est de ceux-là.
Un coup de cœur, mais aussi un coup de poing, un coup de rage.
Si dès les premières lignes on devine le désespoir qui habite cette mère, si on comprend que les trois personnages ne peuvent être portés que vers un destin funeste, j’ai malgré tout été très loin d’imaginer les toutes dernières lignes. Quatre phrases très courtes, qui font basculer dans l'horreur. La gorge serrée, quasiment en apnée, oppressée de bout en bout, happée par ce récit, impuissante devant leur malheur, je n’ai rien pu faire qu’accompagner cette mère et ses deux petits jusqu’à la fin inéluctable. J’en suis sortie – péniblement – bouleversée, sans voix, les larmes au bord des yeux et le cœur au bord des lèvres.
Une mère emmène ses deux garçons, Stan, 9 ans, et Kevin, 5 ans, au bord de la mer. Elle veut leur faire plaisir, leur faire de beaux souvenirs avant que…
Pourtant les garçons sont inquiets parce que ce n’est pas habituel et surtout parce qu’ils ne sont pas en vacances. Une sortie imprévue en pleine semaine, qu’est-ce qu’ils vont dire à l’école ? En plus il fait froid, il pleut et le voyage en car a été long et ennuyeux. Arrivés à destination, il faut encore trouver l’hôtel, pas facile quand on ne veut pas se faire remarquer, qu’on veut prétendre savoir faire comme les autres.
On avait pris le car, le dernier car du soir, pour que personne nous voie.
L’hôtel est miteux, tout est marron. La chambre au sixième étage sans ascenseur, est minuscule, le lit prend toute la place. Les enfants fatigués, vont dormir dans le grand lit, la mère par terre au pied du lit.
Le lendemain, quel jour est-ce ? Impossible à dire. Quelle heure ? Pas plus. Le ciel est si bas, l’horizon si bouché qu’on ne distingue pas le jour de la nuit. Et la pluie, la pluie froide ! Pourtant la mère veut que les enfants voient la mer, avant que…
Ils passeront vingt-quatre heures dans cette petite ville où elle leur assure qu’en été tout est bleu, vingt-quatre heures pendant lesquelles les enfants vont découvrir la mer déchaînée et violente alors que la mère aurait voulu un peu de joie pour eux. C’est toujours pareil, elle rate tout. Elle voudrait tellement bien faire, mais elle est tellement fatiguée, épuisée. Elle n’arrive même pas à regarder ses enfants qui se laissent un peu aller à l’excitation à la fête foraine. Brève parenthèse.
La petite boîte en fer qui contient toutes ses économies va se retrouver vite vide, Stan s’en inquiète. Il est très mûr pour son âge Stan, il est le grand frère qui veille sur le plus jeune, le prend en charge à l’école, le nourrit et l’occupe quand la mère dort, épuisée par la vie, par les pensées qui ne la quittent pas.
L'angoisse, je pourrais pas dire de quoi. C'est quelque chose de posé sur moi... Comme si on s'asseyait sur moi, exactement.
D’elle on ne sait rien. On entrevoit - si peu - son passé. On ne sait rien de plus des pères de ses enfants. On devine les visites des assistantes sociales, les visites chez le psy, les regards des autres qu’elle ne supporte plus, la honte de sa bouche édentée, la solitude, l’immense solitude.
L’auteur la met sur notre chemin alors qu’elle est dans ce bus, elle lui donne une voix, cette voix qu’elle arrive si peu à faire entendre, qui reste si souvent au fond de sa gorge. Sa voix qui disparaît, comme son corps, dans les rues de la ville pluvieuse, boueuse. Des sables mouvants qui l’absorbent, au dehors comme au dedans. La vie lui échappe, ses enfants lui échappent, surtout Stan, déjà petit adulte.
On pourrait détester cette femme qui laisse ses enfants souvent livrés à eux-mêmes. Une femme qui se laisser aller, qui n’est pas une « bonne mère » comme le voudraient la société et les bien-pensants. On pourrait la condamner pour son geste final, mais ce qui ressort surtout, c’est sa douleur, sa solitude, sa misère, sa dérive, le sentiment d’abandon.
Demain on marcherait pieds nus sur le sable, on mettrait les pieds dans l’eau en riant alors pourquoi est-ce que j’arrivais pas à dormir, même plus envie de chanter, y a des fois comme ça où tout me fout le cafard, je sais plus quoi faire de moi, dans quelle direction envoyer mes rêves, y a sûrement des chemins à suivre, des qui sont pas dangereux, bien bordés, oui, des barrières partout, c’est important.
Dans son premier roman, Véronique Olmi donne la parole à cette mère, narratrice qui nous embarque dans son esprit perturbé. On se met à sa place alors qu’on voudrait la détester, la condamner, et surtout fuir, fuir ce qui ne peut qu’arriver. La langue, toujours juste, comme une urgence, nous rapproche de la fin tragique que l’amour débordant qu’elle a pour ses enfants ne peut empêcher. Cet amour, aussi grand soit-il, n’est pas de taille à lutter contre la violence de la société.
122 pages terribles et magnifiques.