Littérature, cinéma, voyages...
La Couronne verte – Laura Kasischke – traduction de l'américain de Céline Leroy
C'est une tradition. Les lycéens partent s'éclater au soleil en attendant les résultats des examens de fin d'année. Leurs parents ont fait la même chose, ce qui ne les empêche pas de mettre leur progéniture en garde contre les excès de soleil, d'alcool, les dérives de consommation de produits de toute sorte et surtout les mauvaises rencontres. Anne et Michelle, qui se connaissent depuis la crèche, ne font pas exception. Leurs mères respectives leur rebattent les oreilles des dangers potentiels. La mère de Michelle tente de leur suggérer de faire quand même un peu de tourisme et de visiter la pyramide de Chichtèn Itzà, témoin de rites Mayas envers le dieu Quetzalcoatl.
Pas de problème, Anne et Michelle sont deux adolescentes raisonnables.
Elles partent donc avec Terri, qui a rejoint l'inséparable duo quelques années auparavant.
Dans ce récit, on n'entendra pas Terri, plus délurée et qui a opté dès leur arrivée à Cancun, Mexique, pour la plage, les cocktails et les garçons.
On pourrait croire qu'on va lire un énième roman sur la jeunesse américaine écervelée, à la recherche de soit-disant sensations et de jeunes filles en quête de leur première relation sexuelle. On est bien loin de là.
Dès le départ l'auteur annonce qu'il y a eu un drame. Ce drame, le lecteur n'en aura connaissance qu'à la fin du roman, et quel choc ! Impossible à deviner, en tout cas pour moi.
Malgré toutes les recommandations maternelles, on sent bien qu'il va y avoir transgression. N'est-ce pas le passage obligé pour grandir ?
Dans le cas de Terri, on ne sait pas si elle a eu les mêmes mises en gardes de la part de ses parents. Si c'est le cas, elle n'en a cure et dès leur arrivée, elle plonge dans tous les interdits. On sait alors que le drame ne la concernera pas, car elle n'a aucune culpabilité et semble bien dans sa tête et son corps.
Non, le drame se joue avec Anne et Michelle. D'ailleurs seules leur voix se font entendre en alternance dans de courts chapitres. Anne qui parle à la première personne, Michelle à la troisième. C'est déjà un indice.
Ces jeunes filles si raisonnables vont malgré tout assez rapidement se laisser entraîner au temple de Chichtèn Itzà par un parfait inconnu rencontré au bar de l'hôtel. Cet homme, Ander, qui se dit archéologue fascine littéralement Michelle. Est-ce le fait qu'elle croit deviner en lui un père potentiel , elle qui n'a jamais connu le sien et dont sa mère ne lui a jamais parlé ?
Au moment d'escalader la pyramide, Anne refuse d'aller plus loin et laisse son amie partir avec Ander. Son angoisse monte alors que le temps passe et qu'elle ne les voit pas revenir. Son imagination lui fait penser au pire, celle du lecteur fait de même.
De son côté, Michelle vit une expérience mystique intense.
Laura Kasischke maîtrise parfaitement le suspense en menant le lecteur ailleurs avant que le drame n'éclate. C'est tout l'avant du drame qui est intéressant, tout comme l'état d'adolescence parfaitement analysé.
Elle parle ainsi de l'émancipation et de ses risques. Elle insinue le doute partout et de ce voyage initiatique qui a viré au cauchemar, elle réussit à tirer une vraie poésie. Il y a beaucoup de sensualité dans ce récit, que ce soit dans la description de la nature ou des corps. On ressent la chaleur, la brûlure du soleil, la soif. On sent les odeurs de la jungle, de la mer. On prend les couleurs des corps brûlés par le soleil ou de la végétation luxuriante en plein dans les yeux. Une des plus belles scènes où l'auteur sait parfaitement faire émerger les sensations se passe dans la pyramide dans le noir total. Michelle y voit, entend et sent tant de choses qu'elles prennent presque vie sous nos yeux. Cette scène est également très anxiogène. Elle précède le drame qui ne sera encore une fois pas là où on l'attend.
Je ne peux donc que recommander ce roman pour sa construction – l'auteur nous plonge dans la tête des protagonistes, pas d'explications, pas de pathos - , et pour l'écriture maîtrisée et poétique.
C'est un beau roman d'apprentissage.
C'est le premier roman que je lis de Laura Kasischke, mais pas le dernier.