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Les Chaussures italiennes – Henning Mankell
Fredrik Welin, ancien chirurgien de 66 ans, vit depuis une douzaine d'années dans une maison isolée sur une petite île de la Baltique. Seuls un vieux chien et un chat partagent sa vie de reclus. Il cohabite également avec une fourmilière géante qui prend de plus en plus d'espace dans le salon depuis douze ans . Ce misanthrope, bougon, s'est coupé du monde des autres humains depuis une erreur professionnelle tragique, et ses seules « conversations » se font avec le facteur de l'archipel, volubile et hypocondriaque.
Chaque matin, quel que soit le temps, il va se baigner. L'hiver, il doit creuser un trou dans la glace, mais il a besoin de cela pour se sentir encore vivant, ou pour se punir ?.
Sa vie est parfaitement rythmée, bien organisée, jusqu'au jour où Harriet, la femme qu'il a aimée et abandonnée trente-sept ans auparavant, arrive sur son île, avec son déambulateur.
Harriet va changer sa vie. Elle vient exiger de lui qu'il tienne la promesse faite quand ils étaient jeunes, ce qu'il ne peut lui refuser car il se sent coupable de l'avoir abandonnée lâchement. De demande en demande, Harriet va l'amener à renouer avec son passé, avec le monde extérieur et avec son futur. Lui qui pensait mourir sur son île, seul et oublié, se sent regagné par l'envie de vivre et de communiquer.
Harriet et Fredrik vont partir dans une sorte de road-movie, dans une Suède glaciale et enneigée. Fredrik va devoir affronter son passé, ses responsabilités, et accepter de tisser des liens avec autrui. Grâce à Harriet et à d'autres rencontres, il va se reconstruire et redonner du sens à sa vie.
Dis comme cela, on pourrait penser qu'il s'agit d'une histoire sans grand intérêt.
Bien au contraire. Tout dans ce roman est magnifique.
Le pays tout d'abord. On sent sa présence, au même titre qu'un personnage, jamais il ne se fait oublier, que ce soit par les contours de cette île-prison, île-refuge, île-alibi, ...ou par l'importance des lacs qui relient Fredrik à son passé avec son père ou avec Harriet.« Le lac n'était pas grand. L'eau était complètement noire. Sur la rive opposée à celle où nous nous tenions il y avait quelques grands rochers, pour le reste ce n'était que la forêt compacte. Il n'y avait pas à proprement parler de rivage, aucune transition entre l'eau et les arbres. C'était comme si l'eau et et la forêt s'empoignaient mutuellement sans que l'une eut le pouvoir de renverser l'autre. »
Les descriptions de la glace, de la mer ou des brouillards des hivers nordiques mettent en évidence le rapport particulier de proximité, de bien-être mais aussi de respect craintif que les Scandinnaves semblent entretenir avec le climat. Il est un élément incontournable du récit, les personnages doivent l'affronter, ils vivent avec, l'aiment mais le redoutent.
« Je conduisais lentement à cause de la visibilité réduite. J'ai pensé à toutes les fois où je m'étais enfoncé dans une semblable nappe ouatée, près de mon île. Quand le brouillard arrivait de la mer, je posais les rames et je me laissais envelopper par la blancheur. Je l'avais toujours ressentie comme un mélange singulier de sécurité et de menace.- »
Une sorte d'hiver-bulle duquel il est difficile de s'extraire et qui appelle aussi à la lenteur. On prend son temps en Suède, tout du moins chez Mankell, et ça, j'aime.
Chez Mankell il y a aussi les personnages, pas toujours montrés sous leur meilleur jour. Fredrik n'est pas particulièrement attachant, mais l'auteur nous oblige à nous approcher de lui, lentement là encore, par petites touches, et sous la cuirasse, on découvre un homme, simplement, avec ses faiblesses et ses blessures. La première partie du roman n'est rien que le récit des petits gestes du quotidien de Fredrik, de ses activités qui lui donnent l'illusion de vivre encore. Il se contraint dans un espace restreint, son île, et à des tâches répétitives, se demandant comment les années ont pu passer sans qu'il s'en aperçoive. Il contraint son corps aussi, lui faisant subir la morsure du froid, plaisir quasi masochiste.
Quant à Hariett, si au début, on peut ressentir de la compassion, voire de la pitié pour elle, on découvre à travers le récit de sa fille qu'elle n'est pas seulement la victime qu'elle semble être.
Un magnifique roman qui malgré la noirceur apparente du sujet, ne sombre jamais dans la pathos. L'écriture est là pour magnifier toutes les émotions.
Pas de surprise pourtant, on sait bien comment tout cela va finir. Mais c'est le chemin parcouru pour y arriver qui intéresse Mankell (et le lecteur), et pas le "où ils vont arriver".
Un roman sur la culpabilité, sur la rédemption, mais surtout sur l'amour et la vie.
Et au final, un récit très optimiste où il faut attendre les toutes dernières pages pour comprendre vraiment le titre.
Une vraie belle lecture.
Lecture commune avec Asphodèle, Anne (de poche en poche), Anne (des mots et des notes), Valou, Jeneen (livres d'Eden), Vero,