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Never let me go
Réalisateur : Mark Romanek
Avec : Andrew Garfield , Carey Mulligan, Keira Knightley
d'après le roman de Kuzuo Ishiguro
Je l'avoue, je suis sous le charme de l'écriture d'Ishiguro, et particulièrement de Never let me go. Ce roman m'a complètement bouleversée, et même si sa lecture remonte à plusieurs années, j'en ai gardé des images très précises et surtout des émotions qui me hantent encore aujourd'hui. Ah ! Cette écriture ! Ah ! La subtilité de son style !
Aussi, quand j'ai appris qu'il allait y avoir une adaptation cinéma, ma première réaction a été de dire : « On ne peut pas adapter un tel chef-d'oeuvre ! Encore une nullité en perspective ! » Et puis la curiosité a été la plus forte, et dès qu'il est enfin sorti par chez moi, je m'y suis précipitée, sûre que j'allais être déçue.
Bon, l'histoire, vous la connaissez (ou pas).
Kathy, jeune adulte, raconte sa vie et celle de nombreux enfants à Hailsham, pensionnat typiquement anglais. Elle raconte surtout sa vie avec Tommy et Ruth à travers de petits détails de leur quotidien très cadré et très réglementé. Un pensionnat des années soixante, quoi ! Pourtant, plus on avance dans le récit et plus on soupçonne quelque chose d'étrange, un malaise s'installe, mais on ne sait pas quoi, jusqu'à la révélation incroyable, celle de leur devenir à tous.
Ce roman est une merveille, je ne le dirai jamais assez !
Billets sur le roman chez Syl., Karine, Sandy, George, Liliba, Céline, Cécile
Alors le film, me direz-vous ?
Et bien d'une certaine manière, il respecte le roman.
La vie à Hailsham est faite de petits riens du quotidien, mais aussi de règles et de rumeurs qui effraient les enfants et les empêchent de sortir de la propriété. Ils ne sont pas prisonniers, ils pourraient franchir les limites mais s'en empêchent. L'extérieur les inquiète et ils ont bien raison : Hailsham sera le seul endroit où ils auront connu la sécurité et un semblant d'affection.
Tout cela est très bien mis en scène et participe à créer une atmosphère, à tisser un lien direct entre les spectateurs et les trois personnages principaux. A partir de là, comme dans le roman, on ne peut que souffrir avec eux lorsqu'ils découvrent ce pour quoi ils sont là. On est empêché de l'intérieur, comme eux. On est eux, et de ce fait on ne peut rien pour les aider.
Les décors, comme ceux imaginés dans le roman, sont magnifiques, - les maisons, la campagne anglaise, la côte.
A certaines scènes j'ai vraiment retrouvé l'émotion du roman, et la même grande tristesse pour ces personnages que j'avais découverts enfants dans les petits instants précieux de leur quotidien, et qui m'étaient devenus intimes et proches. Même en sachant qu'ils allaient échouer, j'ai espéré quand Kathy et Tommy vont chez Madame pour essayer d'obtenir un sursis. Et j'ai retenu ma respiration quand dans une scène magnifique et si terrible à la fois Tommy fait enfin exploser sa rage, sa révolte et sa déception.
Andrew Garfield est formidable dans ce rôle, comme il l'était dans Boy A de John Crowley. D'ailleurs pour moi, les meilleures scènes du film sont celles que partagent Andrew Garfield et Carey Mulligan.
Carey Mulligan interprète parfaitement Kathy, personnage un peu en retrait, consolatrice, discrète, s'effaçant derrière Ruth la peste, et lui laissant ainsi l'emprise sur Tommy, alors qu'elle l'aime vraiment, tel qu'il est avec ses imperfections et ses colères.
Alors, bien sûr, le film n'a pas la subtilité du roman d'Ishiguro. Mais était-ce possible ?
Peut-on parler d'erreur d'interprétation du texte quand le réalisateur révèle dans le premier quart d'heure le « mystère » qui plane autour de ces enfants ? Certes, l'auteur prenait le temps, par petites touches tout en finesse, d'arriver à la révélation (presque) finale. Toutefois, j'avais lu plusieurs fois le roman, le mystère n'en était donc plus un pour moi, et je n'ai pas vraiment été gênée par cette rapidité.
Par contre, une scène cruciale du roman (à mon humble avis) où au son d'une chanson dont elle ne comprend pas le sens, Kathy-enfant berce dans ses bras un coussin comme s'il s'agissait d'un enfant, et qu'elle finit par se rendre compte que Madame l'observe depuis un moment en pleurant, est complètement ratée dans le film. En effet comment comprendre l'attitude de Madame et des autres adultes extérieurs face aux enfants, ou le rôle de la « galerie d'art », si au lieu de Madame, c'est une Ruth énervée, interloquée ou moqueuse (on ne sait pas trop) qu'il nous est donnée à voir à l'écran ?
Et dernier reproche : la musique ! Alors que la mise en scène est sobre, et qu'elle accompagne des personnages résignés, sans avenir, est-il obligatoire de signaler aux spectateurs, par le truchement de violons dégoulinant de guimauve, que oui, c'est bien triste tout ça, et que ce serait bien de pleurer un peu.
L'histoire de Kathy, Tommy et Ruth ne m'a jamais donné envie de pleurer mais plutôt de hurler, ou tout simplement de rester silencieuse devant tant d'injustice.
Finalement, je m'attendais tellement à un navet, que malgré les réserves émises, j'ai passé un assez bon moment et j'ai pu retrouver un peu de l'atmosphère de ce superbissime roman (heu... comment ça , je l'ai déjà dit ?)
Voir aussi chez Céline