







Les mille et une pages
de Somaja
Un livre est un objet mystérieux et une fois qu'il a pris son envol,
n'importe quoi peut arriver.
Paul Auster, extrait de Léviathan
Caïd londonien, Lenny travaille à l'ancienne. Ce qui ne l'empêche pas de savoir à qui graisser la patte et de pouvoir faire pression sur n'importe quel ministre, promoteur immobilier ou malfrat en vue. D'un simple coup de fil, Lenny est capable de soulever des montagnes. Mais comme le lui dit Archy, son fidèle lieutenant, Londres est en train de changer : les mafieux des pays de l'Est, comme les petits voyous, cherchent tous à bouleverser les règles du milieu. Désormais, c'est toute la pègre londonienne, des gros bonnets aux petits poissons, qui tente de se remplir les poches en se disputant le coup du siècle. Mais c'est Johnny Quid, rock star toxico qu'on croyait mort, qui a les cartes bien en main... (source allociné)
Je n'avais vu ni Snatch, ni Arnaques, crime et botanique du même Guy Ritchie, je ne connaissais donc pas son univers,
Et bien, je peux vous dire que c'est déjanté !
Cette histoire alambiquée, c'est le moins qu'on puisse dire, met en scène des escrocs de tous niveaux . De Lenny, parrain londonien (le génial Tom Wilkinson) qui n'hésite pas à faire boulotter par des écrevisses ceux qui font obstacle à ses magouilles immobilières, au mafieux russe flanqué de ses tueurs sans scrupules. Sans parler d'une bande de bras cassés (dont Gerard Butler et Idris Elba) qui dérobe un tableau pour rembourser les dettes qu'ils ont envers Lenny.
magouilleurs, anciens et modernes
Des bras cassés en veux-tu en voilà
Je n'oublie pas une ex-star du rock cocaïnomane, censée être morte, et qui revient mettre la pagaille là où il n'y en avait pas besoin, et cerise sur le gâteau, une comptable véreuse qui manipule tout ce petit monde allègrement.
Les deux trouble-fête
Tout cela est bien alambiqué, je vous le disais, et même si le film se regarde sans déplaisir, il ne restera pas dans mon top 10.
Le rythme, soutenu, tient plus du clip, et l'effet poupées russes avec histoire qui en cache une autre, qui en cache une autre, qui en..., finit un peu par lasser.
Il n'en reste pas moins que certaines scènes sont assez drôles, notamment une course poursuite à pieds qui n'en finit pas, entre un des bras cassés et un tueur russe, et une autre scène supposée être une scène de sexe torride et qui, filmée d'une façon assez étonnante, finit par être vraiment très drôle.
Un autre bon point : Londres. Tout est filmé dans la capitale londonienne et c'est un vrai plaisir que d'y suivre tous ces personnages.
Petit billet à chaud, c'est très rare ici, mais je devais absolument vous parler de ce film , c'était urgent....
Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights) - 2012 - de Andrea Arnold
avec Shannon Beer et Solomon Glave (Cathy et Heathcliff jeunes) / Kaya Scodelario et James Howson (Cathy et Heathcliff adultes)
Je fulminais depuis un moment parce que je n'avais pas la possibilité de voir la dernière adaptation de ce magnifique roman d'Emily Brontë.
Un film qui ne passait que dans un nombre si faible de salles en France qu'il serait indécent de le mentionner ici...
Bref, à force de réclamer, les spectateurs ont eu gain de cause et notre sympatique cinéma Les Carmes à Orléans a réussi à avoir une copie, mais pour seulement une semaine.
Aussi, si vous êtes dans le coin, arrangez-vous comme vous voulez, réorganisez votre emploi du temps, mais courrez voir ce film !
Andrea Arnold dont j'avais adoré Fish Tank est passée à un sujet totalement différent, mais on retrouve quand même là sa façon de s'intéresser à la dureté de la vie, à des personnages cassés, à la rudesse de l'environnement dont elle arrive malgré tout à tirer de la beauté.
Et de la beauté il y en a dans ce film ! Les paysages sont mis en valeur comme jamais, la lande devient un élément essentiel qui accompagne continuellement les sentiments des personnages.
Comme le paysage, les personnages sont sauvages, confrontés à la violence des éléments, de la vie.
Tout est sensation dans ce film et ce qu'Andrea Arnold a réussi à mon avis, c'est à mettre nos sens en éveil.
Particulièrement le toucher (les cheveux de Cathy sur le visage d'Heathcliff, la main de ce dernier sur le cheval, les corps dans la tourbe, le vent et la pluie sur les visages...). Mais aussi l'ouïe avec la quasi absence de paroles et de musique qui fait prendre conscience du bruit des pas dans la boue, de la pluie et surtout du vent.
Pas de musique dans ce film, sauf une chanson originale composée par le groupe Mumford and sons (que j'adore et que j'ai découvert il y a peu de temps), mais après la chanson, le générique de fin se déroule sur fond de vent sur la lande..."the moors...the moors...".
Magnifique !
Allez lire aussi le beau billet enthousiaste de l'ami Mind the Gap qui a dit tout ce quej'ai pensé de cette adaptation de loin la plus fidèle à l'atmosphère de la première partie du roman (on est bien loin du romantisme de la version - que j'aime aussi malgré tout - avec Merle Oberon et Laurence Olivier).
La similitude entre deux oeuvres est parfois surprenante. C'est le cas avec ce film et le roman de Virginie Ollagnier, Toutes ces vies qu'on abandonne.
Les Fragments d’Antonin – film de Gabriel Le Bomin – 2005 – avec Grégori Dérangère - Aurélien Recoing - Anouk Grinberg
Synopsis :
Cinq prénoms inlassablement répétés. Cinq gestes obsessionnels. Cinq moments de guerre. Antonin est revenu des combats sans blessure apparente. La sienne est intime, intérieure, enfouie.
Nous sommes en 1919 et le professeur Labrousse, pionnier dans le traitement des chocs traumatiques de guerre se passionne pour son cas. Sa méthode, nouvelle et controversée, doit lui faire revivre les moments les plus intenses de sa guerre afin de l’en libérer.
Comme dans Toutes ces vies qu’on abandonne, le film montre le travail d’un médecin (Aurélien Recoing, parfait) qui s'intéresse plus aux chocs traumatiques qu'aux blessures corporelles.
Il s’attache au cas d’Antonin, revenu brisé des tranchées. Ce dernier est muré à l’intérieur de lui-même et ne cesse de revivre les horreurs vues et subies.
Entre le roman et le film, les liens sont étonnants. Les deux finissaient par se mélanger dans mon esprit, d’autant plus que – est-ce le hasard ? - j’ai vu le film quelques semaines seulement avant d'avoir lu le roman.
Même thème : les blessures invisibles.
Mêmes traumatismes et mêmes effets - mutisme, esprit enfermé dans un cauchemar et le corps refuse de revenir à la vie.
Même prise en charge par un médecin psychiatre qui prend en compte les effets de l’esprit sur le corps.
Comme dans le roman, la place du toucher est essentielle pour être à nouveau en contact avec ce monde traumatisant que les soldats voudraient oublier .
Mais plus étonnant, même structure. Dans le roman les séances de massage déclenchaient des souvenirs auxquels seul le soldat et le lecteur avaient accès. Dans le film, les sons, les images auxquels le médecin fait se confronter Antonin, lui font revivre des épisodes traumatisants, et chacun de ses sursauts amène un flash-back qui permet au spectateur de compléter le puzzle.
Dans les deux cas, on assiste par bribe à la reconstruction d’une vie, d’un parcours et donc d’un homme.
Les Fragments d’Antonin ne donne pas dans le spectaculaire. Les scènes de souvenirs dans les tranchées ne montrent que des hommes, filmés au plus près, souvent en gros plans, des visages, des regards…et ça suffit pour comprendre l’ennui, la peur, l’épuisement, l’incompréhension, la révolte, le dégoût. Il y a peu de dialogues, juste ce qu’il faut. Les acteurs sont tous d’une grande sobriété, les silences sont émouvants. Les discours sont inutiles.
Gabriel Le Bomin, a réalisé plusieurs documentaires sur les traumatismes de guerre. Il signe là un premier long métrage de fiction efficace et très émouvant.
Bruegel, le Moulin et la croix – 2011– film de Lech Majewski – avec Rutger Hauer , Michael York , Charlotte Rampling
J’ai toujours eu envie de plonger dans les histoires, dans les romans, pour tout observer au plus près. C’est pourquoi je suis jalouse de Thursday Next (personnage de Jasper Fforde). Pour les tableaux, c’est la même chose.
Cette plongée au cœur du tableau, c’est ce que Lech Majewski nous propose dans son Bruegel, le Moulin et la croix. Je suis donc allée voir ce film avec d’autant plus de plaisir que j'adore l’œuvre de Bruegel, le foisonnement des personnages, la vie qui se dégage de ses toiles.
Synopsis
Année 1564, alors que les Flandres subissent l’occupation brutale des Espagnols, Pieter Bruegel l’Ancien, achève son chef d’œuvre "Le Portement de la croix", où derrière la Passion du Christ, on peut lire la chronique tourmentée d’un pays en plein chaos.
Le film plonge littéralement le spectateur dans le tableau et suit le parcours d’une douzaine de personnages au temps des guerres de religions. Leurs histoires s’entrelacent dans de vastes paysages peuplés de villageois et de cavaliers rouges. Parmi eux Bruegel lui-même, son ami le collectionneur Nicholas Jonghelinck et la Vierge Marie.
Ce film est adapté d’un essai The Mill and the Cross du critique d’art Michael Francis Gibson qui pose la question de la présence de cavaliers rouges et de paysans flamands autour du Christ dans Le Portement de la croix.
Afin de percer le mystère de ce tableau et de nous entraîner dans le processus de création, le cinéaste va mettre en lumière la vie d’une douzaine des cinq cent personnages qui le composent, et nous attacher à leur vie.
Je ne saurais dire si j’ai tout compris du propos de Majewski, mais peu importe, je peux toujours me tourner vers l’essai de Gibson.
Ce que je retiens de ce film c’est qu’il m’a fait vivre une merveilleuse expérience esthétique. Et pas seulement à cause des techniques employées (images de synthèse, 3 D et vues réelles). Le peintre (très bon Rutger Hauer), tour à tour acteur et spectateur de son propre tableau, guide notre regard.
Nous passons sans cesse des scènes animées de la vie flamande de la Renaissance aux scènes immobiles du tableau. Rien n’est précipité, la lenteur a son importance, la création prend du temps, elle appelle à la contemplation.
J’ai trouvé certaines scènes particulièrement belles, entre autres celle montrant Bruegel contemplant au petit matin une toile d’araignée couverte de rosée. Araignée qui deviendra source d'inspiration.
Très peu de dialogues dans ce film, la lumière, les couleurs, la composition suffisent.
L’émotion m’est venue également des sons. Des chants, des rires, des pleurs, l’eau qui coule, le bruit d’une hache qui s’abat régulièrement sur un tronc d’arbre, le pas des chevaux, les sons de la vie, tout cela rythmant les scènes aussi bien, voire mieux, qu’une musique l’aurait fait.
Ce film exigeant nous force à regarder, avec précision, à écouter aussi.
A la sortie de la salle, l’envie était forte d’approcher ainsi d’autres tableaux.
Le Baiser du serpent (The Serpent’s kiss) - film de Philippe Rousselot (1997) avec Ewan McGregor – Greta Scacchi – Pete Postlethwaite – Carmen Chaplin – Richard E. Grant – Musique de Goran Bregovic
Je viens de voir une chose étrange, il faut que je vous en parle. Un film réalisé par un français, avec des acteurs anglais pour la plupart, mais tous de langue anglaise. Toutefois la version dvd n’existe qu’en français. Mais soit ! Ce n’est pas ça le plus étrange.
1699. Thomas Smithers (Pete Postlethwaite), riche industriel anglais veut faire du jardin de sa nouvelle propriété une œuvre d’art. Sa fortune s'est faite grâce à la fabrication des canons, et avec ce jardin hors du commun, il espère bien montrer non seulement qu’il est très riche, mais également qu’il est féru d’art et surtout satisfaire ainsi sa frivole épouse, Juliana (Greta Scacchi).
C’est sur les conseils de James Fitzmaurice (Richard E. Grant), cousin de Juliana, que Smithers fait venir Meneer Chrome (Ewan McGregor). Ce jeune et brillant paysagiste hollandais de grande renommée a pour charge de penser et de réaliser ce jardin. En fait, il s’agit d’un usurpateur. Fitzmaurice, amoureux de sa cousine et jaloux du succès de Smithers, veut ruiner ce dernier et a donné à Meneer Chrome la mission de pousser Smithers à des dépenses qu’il ne pourra pas assumer.
A son arrivée dans cette famille, Meneer Chrome fait la connaissance de Théa, jeune fille fantasque et surprenante. Ses parents ne la comprennent pas, pensent qu’elle se ruine les nerfs en lisant trop, et la font suivre par un médecin aussi ignare que pouvait l’être un médecin de cette époque, ne connaissant que la saignée et les sangsues, et préconisant l’internement .
La vie de cette famille va tourner pendant quelques semaines autour de l’élaboration du jardin. La mise à nu du terrain et la destruction de la nature sauvage provoquent des crises chez Théa, même si Meneer Chrome, tombé sous le charme de la jeune fille a su épargner le petit espace vert dans lequel elle se sent paisible.
Petit à petit, les passions se déchaînent : Meneer Chrome, continue à remplir sa mission, mais le fait de plus en plus en contradiction avec ses sentiments, Smithers ne se sent plus de vanité, Juliana perd la tête devant le jeune Meneer Chrome, Fitzmaurice n’a de cesse de faire céder sa cousine et jubile devant les dépenses monstrueusement élevées que Smithers n’ose refuser. Quant à Théa, considérée comme folle, elle semble bien être la seule personne sensée et honnête dans tout cela.
Le jardin prend forme, mais lors de la présentation de la première étape devant les voisins venus en nombre, le vent se lève, un vent annonciateur de destruction et de malheur. Un vent surnaturel qui semble avoir été convoqué par Théa. Il détruit l’ordonnancement impeccable des allées, les parcelles géométriques, les plantations, les statues pseudo-antiques…tout !
Finalement ruinés, Smithers et Juliana reviendront à des valeurs plus humaines et se rapprocheront l’un de l’autre, et Meneer Chrome, une fois débarrassé de Fitzmaurice, pourra laisser libre cours à ses sentiments pour Théa.
Ce film reprend le thème maintes fois traité de l'Homme contre la Nature. Il n'apporte rien de bien nouveau. Pour des raisons différentes, tous les personnages, à l'exception de Théa, concentrent leur énergie à dompter le chaos d'un jardin laissé à l'abandon. Mais la Nature se rebellera et reviendra à son état d'origine. Elle s'affranchira des chaînes imposées par l'arrogance humaine.
On peut aussi reprocher à ce film de ne pas exploiter mieux le marivaudage entre les personnages, et l'ensemble manque parfois un peu d'énergie.
Alors pourquoi ai-je quand même aimé le film au point de le regarder deux fois d'affilée ?
Difficile à dire, mais je crois que certaines scènes m'ont fascinée. Celles notamment où apparaît la mystérieuse Théa (surprenante Carmen Chaplin). Elle semble détachée du monde réel, semble littéralement lire ceux qu'elle a en face d'elle, et alors que le monde s'agite autour du jardin, elle évolue avec une étrange lenteur en toute situation. Elle est celle qui révèle les autres.
J'ai souvenir aussi d'un film où la reconstitution des costumes, des décors et des ambiances de ce début du XVIIIème est efficace, et certaines scènes sont aussi belles que des tableaux flamands.
Et je pense que l'étrangeté que j'ai ressentie vient beaucoup de la bande originale (malheureusement je n'ai rien trouvé à vous mettre en écoute). Elle est très présente, et presque anachronique, comme pouvait l'être (à mon avis) celle de La Reine Margot de Chéreau. Pas étonnant puisque c'est Goran Bregovic qui officiait dans les deux films.
Ce film a été présenté au festival de Cannes en 1997, mais n'a pas soulevé les foules. C'est sûr que si on le compare à Meurtre dans un jardin anglais de Peter Greenaway ….
Film qui peut voyager, si le cœur vous en dit.
Joyeuses Funérailles (Death at a funeral) - Frank Oz ( 2007) avec Matthew Mac Fadyen – Daisy Donovan - Keeley Hawes – Andy Nymanplus , Rupert Graves, Alan Tudyk.
Daniel (Matthew Mac Fadyen) doit prononcer l'éloge funèbre de son père mais il se sent nerveux car il a peur de ne pas être à la hauteur devant toute l'assemblée, et surtout devant son frère, écrivain célèbre installé aux États-Unis.
Vont également assister aux funérailles la cousine Martha (Daisy Donovan, déchaînée) et son frère Troy, adolescent attardé, et chimiste amateur.
Tout devrait malgré tout se passer sans trop de problèmes. Mais c'est sans compter sur Simon (l'excellent Alan Tudyk), le fiancé de Martha qui, voulant lutter contre son stress d'être présenté au père de Martha, a pris chez Troy un tranquillisant qui s'est avéré être un hallucinogène.
A cela s'ajoute aussi Justin qui compte bien profiter de cette journée pour reconquérir Martha, l'oncle Alfie, vieillard acariâtre en fauteuil roulant, et Howard, transpirant et hypocondriaque.
Et la cerise sur le gâteau, un petit homme, inconnu de tous, pourtant très proche du défunt, et qui menace de révéler un terrible secret.
Daniel et ses amis feront tout pour que la vérité n'éclate pas et c'est là que tout part en vrille.
Sans s'essouffler, le film passe de situations absurdes en situation absurde, avec des réparties savoureuses, le tout servi par des acteurs enthousiastes. Alors, certes, on frise parfois l'humour un peu lourd et le mauvais goût, le « too much », mais on rit franchement à cette comédie so Britsh qu'on finit par oublier qu'elle est l'œuvre d'un réalisateur américain.
Et pour ma part, Joyeuses funérailles a un atout majeur : la voix de Matthew Mac Fadyen.